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RÉOUVERTURE DES ECOLES...SUITE. Témoignage : "Maîtresse en maternelle, sans moi le 11 mai !"
Par Frédéric Bicheron • Publié le 04/05/2020
Bonjour, vous trouverez ci dessous un témoignage, parmi tant d'autres, pour dire l'inquiétude du monde enseignant face à la réouverture des écoles le 11 mai. Ceux qui espèrent gestes barrière et distanciation sociale ne savent rien de notre réalité d'enseignant. Ni héros, ni traître, nous connaissons notre métier et nos très jeunes élèves de 4 ans.
Nous voudrions qu'au milieu des enjeux sanitaires et économiques, on ne les oublie pas.

Maîtresse en maternelle, sans moi le 11 mai !
Depuis le début de l’épidémie de Covid19, j’ai tâché de continuer à faire mon boulot de maîtresse de petite section. Vous avez peut-être vu passer mes vidéos dans lesquelles j’essaie gaiement, parce que le ridicule ne tue pas, de maintenir le lien avec mes élèves depuis mon salon. Je suis contente d’y avoir consacré beaucoup de temps et d’énergie, je l’ai fait par choix et avec plaisir, pour mes élèves et leurs familles. Je suis prête à continuer, autant qu'il faudra. Et bien sûr, je n'ai qu'une hâte : retrouver les soixante petits élèves de mes deux classes de maternelle (j’ai deux postes à mi-temps).
Mais je ne vois pas quels aménagements ni quelles précisions pourront me convaincre de revenir à l’école le 11 mai. Je précise que je ne suis absolument pas opposée à une reprise avant la fin de l’année scolaire. Je m’attendais à reprendre en mai ou juin, mais certainement pas dans ces conditions, alors qu'on avait fermé les écoles avant de confiner la population !
Ce que je questionne c’est précisément cette idée de rouvrir en premier les écoles, en particulier les écoles maternelles, en accueillant des groupes d’enfants à temps partiel. Comment peut-on parler de déconfinement progressif quand on rouvre des structures qui concentrent une population incapable de respecter les gestes barrière ? Quel sens sanitaire y-a-t-il à interdire les rassemblements de plus de 10 personnes tout en accueillant des groupes de 15 élèves ?
Je ne vais pas vous donner mon avis sur la bonne stratégie de santé publique à adopter, ni partager mes inquiétudes sur tout ce que l’on semble ignorer de ce virus, parce que vous auriez raison de n’en avoir rien à faire, ce n’est pas mon boulot. Je vais vous parler de ce que je connais : l’école, les enfants, les familles. Je vais vous parler de mon quotidien et de mon travail de maîtresse d’école de petite section de maternelle.
A quoi ressemble l’école quand on a quatre ans ?
Le matin, les parents déposent leurs enfants directement dans la classe après s’être croisés dans des espaces exigus dans un temps très court. Ce moment est très important, accepter la séparation avec sa famille étant l’un des enjeux essentiels pour les élèves de petite section. Ensuite, les enfants ont un temps un peu libre où ils circulent dans la classe, en partageant les jouets, les crayons, les poupées. Parce que c’est ça la maternelle : apprendre en jouant ensemble.
On travaille en ateliers par petits groupes d’élèves, en théorie. Parce qu’un enfant de 4 ans, ça ne fait pas toujours ce que nous, les grandes personnes, on imagine en théorie. Rester en place à une table, en fait, c’est déjà loin d’être évident quand on a 4 ans. Alors tousser dans son coude ou même juste se moucher tout seul… Donc, on crache un peu sur les copains sans faire exprès et on s’essuie le nez sur le bras de la maîtresse en passant.
Plusieurs fois par jour, on va tous ensemble aux toilettes qui manquent souvent de papier, de savon et de bon sens dans leur conception (et je râle à ce sujet à chaque conseil d’école).
Le matin et après la sieste (à quarante dans un dortoir de la taille d’une classe), on se regroupe tous les uns contre les autres pour chanter et lire des histoires. Et puis, il y a la récréation. Et la cantine. Des moments où on apprend aussi une chose essentielle : vivre ensemble.
C’est tout ça l’école maternelle.
Et puis, quand on a 4 ans, parfois on a très peur, parfois on est très triste. Souvent, les mots sont inutiles, parce qu’on ne sait pas toujours les dire ou les comprendre, c’est déjà difficile pour les grandes personnes alors quand on n’a que 4 ans... C’est le contact qui rassure. Une main sur la joue qui sèche une larme, un câlin qui réconforte quand papa s’en va. Parfois aussi, c’est le contact qui protège. Qui arrête une main qui va donner un coup ou qui retient un enfant qui se met en danger sans s’en apercevoir.
Distanciation et gestes barrière en maternelle : mission impossible
Alors maintenant, essayez d’imaginer la même chose, en version covid19. Même avec moins d’enfants, même avec moins de familles. Même en désinfectant les locaux, même en imaginant qu’on peut renouveler encore et encore notre manière d’enseigner. Deux choses essentielles : d’abord, les gestes barrières et la distanciation sociales sont impossibles à mettre en œuvre en maternelle (les enseignant.e.s qui ont accueilli de petits groupes d’enfants de soignant.e.s le confirment). Ensuite, mon travail de maitresse d’école est infaisable dans ces conditions. Pire même, il n’a aucun sens. Tout ce que nous avons mis en place depuis des mois, pour rassurer ces tout jeunes élèves et qu'ils se sentent en confiance à l'école, va être mis à mal.
Jusqu’à présent, il n’est pas question d’une réouverture dans des conditions classiques, heureusement d’un point de vue sanitaire. De ce que j’ai compris, l’idée est d’y aller progressivement. Donc on va quand-même devoir respecter un minimum de règles d’hygiène en accueillant de petits groupes d’élèves. Mais concrètement, ça va donner quoi ?
Je vous jure, j’essaie de me visualiser, en classe, masquée (parce que je suis optimiste) face à cinq enfants (dix ? quinze ? on ne sait plus), chacun à un bout de table. Des élèves, qui ne seront pas les mêmes tous les jours puisqu’on ne pourra pas les accueillir tous. Des tout petits machins mignons de quatre ans à qui je vais devoir faire comprendre que tout ce qu’ils font habituellement est potentiellement dangereux. Prendre le crayon du copain, lui faire un câlin parce qu’il est triste, se chuchoter un secret à l’oreille… Certains seront complètement effrayés, d’autres surexcités. Tous leurs repères vont être bouleversés. Tout ce qui valorisé habituellement comme source d'apprentissage (le partage, le contact, l'échange), va prendre une dimension menaçante pour de nombreux adultes et enfants, notamment parce que nous savons encore trop peu de choses sur ce virus et que nous manquons visiblement de moyens pour y faire face.

Pas de consensus scientifique pour une réouverture des écoles
Si des scientifiques et des médecins s'étaient accordés sur l'opportunité d'une reprise le 11 mai dans les conditions présentées par le gouvernement, ma perception de la situation aurait été bien différente. Depuis que j’ai posté une première version de ce message sur les réseaux sociaux (le 19 avril), diverses instances ont fait part de leurs inquiétudes.
Le 20 avril, le conseil scientifique s’est prononcé contre une réouverture des écoles le 11 mai, avant de « prendre acte de la décision du gouvernement » et de faire paraître le 26, une série de recommandations qui semblent totalement inapplicables, notamment aux écoles maternelles.
Le 23 avril, le Sénat indiquait que « de très nombreuses personnes auditionnées ont fait part de leur surprise à l’annonce d’une réouverture des écoles à partir du 11 mai, qu’il s’agisse de personnes issues du monde médical ou de l’enseignement. Le retour des élèves en classe n’était ainsi pas évoqué lors des concertations au ministère de la santé. Il en est de même pour les discussions avec les syndicats dans les jours précédant le 13 avril : selon les informations transmises au groupe de travail, les hypothèses de reprise portaient plutôt sur juin voire septembre..."
Le 26 avril, l’Italie reportait l’ouverture des écoles au mois de septembre parce que « c’est la santé de nos enfants qui est en jeu », selon le chef du gouvernement. Le Portugal a pris la même décision dès le 9 avril.
Impératif pédagogique ?
En France, le premier ministre a évoqué le 28 avril un « impératif pédagogique et de justice sociale ». Mais justement, au-delà de toutes les questions logistiques sur la désinfection des locaux et la protection des personnels qui n’est pas un sujet anecdotique, au-delà des questions relatives à l’organisation du temps d’accueil et ses conditions, je pense avant tout à mes élèves. Mes petits élèves de 4 ans. Que vont-ils comprendre de tout ça ? Quel est l’intérêt pour eux ? Lesquels d’entre eux seront accueillis, sur quels critères ? Lesquels pourront avoir le privilège de rester à la maison ? Lesquels seront contraints d’aller à l’école ? C’est comme ça qu’on prétend réduire les inégalités ?
Bien sûr que c’est difficile pour tous les enfants d’être confinés mais pour la plupart d’entre eux, être enfermés à la maison avec leurs parents est bien moins anxiogène que ce qu’ils vivront si les écoles rouvrent. Depuis le début de cette crise, l’éducation nationale navigue à vue sur tous les sujets : continuité pédagogique, accueil des enfants de soignants, rien n’a été suffisamment pensé en amont. Donc, dans un climat d’impréparation totale, ceux qu’on choisit de fragiliser davantage, ce sont des enfants très jeunes, qui découvrent à peine l’école, au prétexte de sauver l’économie et créer notre immunité collective.
On va les plonger dans un environnement complètement abstrait, imprévu, stressant, pour RIEN, rien d’utile pour eux. Parce qu’on ne sait toujours rien de ce que pourraient être nos missions, d’un point de vue strictement pédagogique. Et même notre ministre le dit, on ne va pas enseigner. Que va-t-on faire alors ? Garder ?


Garder les enfants pour sauver l’économie : un plan hasardeux
Disons-le clairement alors, nous souhaitons employer les enseignants et les enseignantes de France pour garder les enfants et renvoyer les parents au travail, coûte que coûte. D’abord, je ne suis pas d’accord avec cette vision de l’école. Je ne suis pas responsable des enjeux logistiques du capitalisme. Oui, économiquement, c’est un carnage et ça va durer longtemps. Là encore, pas besoin d’être experte pour le dire mais je ne peux que m’interroger sur les autres sujets que je ne maitrise pas et qu’on ne m’explique pas. Comment envisager autre chose qu’un accueil partiel pour des raisons sanitaires évidentes ? Et donc, comment envisager une véritable reprise de l’activité avec un accueil partiel (et pas nécessairement les mêmes jours au sein d’une fratrie) ? Quel sera l’impact économique réel d’une telle mesure qui consiste à rouvrir, progressivement les écoles, en accueillant les enfants à temps partiel pour huit semaines, alors qu’elles fermeront de toute façon pour deux mois le 3 juillet ?
Pour mes élèves de petite section, dont on sait maintenant qu’ils seront accueillis à partir du 25 mai (enfin, on ne sait plus vraiment, le premier ministre n’a pas évoqué le calendrier progressif de M. Blanquer), cela représente 24 jours de classe donc avec un accueil au mieux à mi-temps, il s’agit de 12 jours d’école pour chaque enfant. Quel est l'objectif ? Encore une fois, j’attends qu’on m’explique, qu’on me donne des chiffres, des justifications, des perspectives concernant l’intérêt économique d’une réouverture des écoles dans ce contexte. Là encore, si nous pouvons entendre la nécessité de relancer l’activité, d’autres options auraient pu être étudiées, dans l’intérêt des enfants et de leurs familles.
L’enjeu du décrochage scolaire : en maternelle mais pas au collège ?
J’entends aussi l’argument du décrochage scolaire et je suis bien d’accord que l’école à distance, c’est compliqué, particulièrement en maternelle. Mais, nous n’avons aucune garantie que les fameux décrocheurs reviendront à l’école. De nombreux élèves étaient déjà absents avant les mesures officielles de confinement, je suis convaincue que ceux-là ne reviendront pas. Notons aussi que le gouvernement s’est maintenant positionné pour laisser toute latitude aux familles pour remettre ou non leurs enfants à l’école, ce qui vient en contradiction avec l’argument d’une reprise pour « sauver les élèves ». Le fait que les collèges et lycées restent pour l’instant fermés pose également question. La justice sociale et l’impératif pédagogique n’ont plus de sens quand on dépasse les 10 ans (et alors même que ces élèves pourraient peut-être être un peu plus en mesure de respecter les mesures barrière) ?
Je m’inquiète évidemment pour mes élèves fragiles, dans des situations familiales et/ou sociales difficiles, ceux pour qui prolonger cette rupture avec l’école pourrait être vraiment problématique. Mais je ne vois pas en quoi un accueil partiel de quelques-uns (ceux que les parents accepteront de remettre à l’école), va tout à coup résoudre la problématique de la pauvreté ou de la maltraitance infantile. En argumentant pour une réouverture sur la base de ces situations, on essaie de faire peser la responsabilité d’une situation globale sur les individus, assez sensibles à la culpabilité, que sont les enseignant.e.s. Mais les enfants violentés l’étaient avant le confinement et les moyens mis à notre disposition étaient déjà insuffisants. Ce n’est pas une demi-journée d’accueil à l’école tous les deux jours qui va les sauver de leur enfer familial. Nous ne sommes pas des héros. Malheureusement. J’en pleurais de rage déjà avant le covid19, mon mari qui enseigne à des enfants placés par l’ASE aussi.
Ha oui, et petit détail logistique, nous sommes un couple d’enseignants, nous avons deux enfants eux-mêmes scolarisés en maternelle. Qu’est-ce qu’on fait d’eux pendant qu’on enseigne ? Sachant qu’il n’y a pas de raison pour qu’ils soient tous les deux accueillis à temps plein par leurs enseignantes. On rappelle mamie, 78 ans, confinée depuis le 12 mars ? Certainement pas.
Et surtout, que font mes 25 (15 ? 10 ? 20 ?) autres élèves qui ne sont pas en classe ? Parce que moi, je suis toujours leur maîtresse, à tous. Comment on assure leur continuité pédagogique ? On arrête tout parce que finalement, ça ne sert à rien ? Ou je continue mes vidéos la nuit ? Ce soir, M. Blanquer a indiqué, dans le journal de TF1, que la continuité pédagogique devait s'intensifier. Mais nous ne savons toujours pas comment elle pourra se poursuivre quand les enseignants seront dans les écoles.
Fonctionnaires et solidaires
Alors, quand je lis des commentaires de personnes, qui pour la plupart ne font pas partie des personnels soignants, opposer les craintes des enseignants à l’héroïsme des soignants, je m’inquiète que ce dont je parle ne soit pas compris. Les infirmier.e.s et les médecins ont soigné des malades au péril de leur vie et notre reconnaissance est totale. Mais ce qu’on nous demande là, c’est au contraire de participer à la contamination massive de la population tout en ne nous permettant pas d'accueillir les enfants dans des conditions acceptables. Depuis mon message du 19 avril, de nombreux personnels soignants m’ont fait part de leur soutien et de leurs inquiétudes. Nous opposer les uns aux autres n'a aucun sens.
En tant que simple citoyenne, j’attends qu’on m’explique précisément en quoi cette stratégie d’ouverture des écoles le 11 mai a un véritable intérêt dans notre contexte. Je suis fonctionnaire, j’ai conscience de ma mission de service public et j’ai hâte de retrouver mes élèves. Mais pas à n’importe quel prix.
Je suis très en colère contre ce gouvernement qui fait peser sur tous ceux qu’il matraquait dans la rue il y a encore quelques semaines, les conséquences d’un désastre qu’il a lui-même contribué à orchestrer. Je suis en colère contre ces effets d’annonce, qui plongent les fonctionnaires dans la sidération tout en attendant d’eux qu’ils trouvent les solutions pour mettre en œuvre concrètement les décisions du Prince.
Actuellement, dans toutes les écoles de France, des enseignant.e.s et des directeurs.rices s’acharnent pour tenter de trouver des solutions opérationnelles à une problématique qui paraît inextricable. Partout, on fait des groupes, des sous-groupes, des projections, des plans de circulation. Mais la stratégie de communication fonctionne, pour l’instant, beaucoup taisent encore leurs inquiétudes, parce que peut-être, dans quelques jours, on nous dira plus clairement ce qu’il va se passer. Et nous devrions faire confiance aux mêmes qui parlaient d’abord de grippette puis disaient qu’on avait assez de masques et enfin qu’ils étaient inutiles ?
Nous avons le droit de refuser de nous taire
Il est parfois raisonnable de contester. Et j’estime même que c’est mon devoir de fonctionnaire, parce que j’ai la possibilité de dire non quand d’autres ne pourront que subir. Je ne peux pas assumer non plus, qu’en étant présente le 11 mai à l’école, je donne à un employeur la possibilité d’obliger un parent fragile à reprendre prématurément le travail et à s’exposer au virus en emmenant son enfant à l’école. Parce que c’est ce qui va fatalement arriver. Des parents, pour la plupart déjà en difficulté économique, vont être contraints de retourner travailler si les écoles rouvrent. Beaucoup vont être contaminés, la plupart, jeune et en bonne santé s’en sortira, d’après ce qu’on en dit aujourd’hui. Il paraît, mais on n’en est plus si sûr, que les jeunes adultes sont une bonne cible pour constituer l’immunité collective. Et tant pis pour les faibles ?
C’est ça la santé publique ? Est-ce qu’on est d’accord avec ces valeurs-là ? Il ressemble à ça le nouveau monde qu’on va construire tous ensemble ? Je ne veux pas être complice d’une stratégie politique incompréhensible, à l’éthique douteuse et aux conséquences sanitaires potentiellement désastreuses.
Et ce n’est pas à moi, simple maîtresse d’école, de dire à un gouvernement ce qu’il doit faire dans une situation si complexe. Dans les commentaires d'une précédente version de texte qui a été partagée sur les réseaux sociaux, on insiste pour que je fournisse des alternatives. Une solution de déconfinement possible aurait pu être, par exemple, de continuer à élargir peu à peu l’accueil des enfants à d’autres professions du secteur privé (par exemple les commerçants et artisans) avant la réouverture des écoles. Nous aurions pu aussi déterminer des critères pédagogiques en fonction de l’isolement numérique ou des difficultés des familles. Nous aurions pu décider, comme le suggèrent plusieurs académies, de fermer les maternelles pour mettre en élémentaire davantage d’enseignants, face à des élèves qui pourraient peut-être, au vu de leur âge, recevoir une forme d’enseignement. Nous aurions pu aussi envisager une progressivité du déconfinement, géographique plutôt que temporelle. Mais quelques soient mes propositions on les aurait critiquées, peut-être à juste titre, plutôt que d’entendre mon propos : la solution proposée n’est pas la bonne pour les enfants et les personnels fragiles.
Il ne s’agit pas de moi, il ne s’agit pas « des profs »
Je précise que je ne crains pas vraiment pour ma peau. Il semblerait également que mes petits élèves ne soient pas en danger en termes de contamination mais depuis quelques jours, on n'est plus vraiment sûrs de ça non plus. Le 27 avril, le National Health Service anglais a alerté sur le cas de nombreux enfants touchés par un syndrome inflammatoire grave, potentiellement associé au Covid19. Des médecins français ont également observé ce phénomène, notant une « accumulation anormale de cas ».
Mais, je suis aussi inquiète pour la sécurité affective de mes si jeunes élèves, qui est l'une de mes missions premières en tant que maîtresse de petite section. Je suis inquiète pour leurs familles et pour mes collègues les plus fragiles. Je pense bien sûr aux enseignant.e.s mais également aux ASEM, AESH, personnels d’entretien et de cantine qui jouent un rôle essentiel dans les écoles. Souvent des femmes, parfois proches de la retraite et à la santé fragile dont les contrats de travail n’offre que des conditions précaires. Je profite de ce message pour leur adresser mon soutien et ma reconnaissance (et j'embrasse chaleureusement les trois femmes formidables et investies qui m'accompagnent au quotidien auprès de mes deux classes).
Je suis sûre que tous ces gens si intelligents, si riches et si indispensables à notre société qu’on a baissé leurs impôts pour les garder auprès de nous, sauront trouver d’autres solutions. Chacun son boulot.
En attendant, je connais assez le mien pour vous dire que si on me demande d’y retourner le 11 mai, il faudra beaucoup d’arguments pour me convaincre de ne pas exercer mon droit de retrait ou d’envisager toute alternative. Et j’espère que si le gouvernement persiste, nous serons nombreux.ses à le faire.
Et à celles et ceux qui nous invitent, plus ou moins courtoisement, à retourner « au front » ou « au charbon », j’apporterai pour finir cette précision essentielle : il n'est pas question de "reprise" puisque les enseignant.e.s n’ont jamais cessé le travail. Ils ont assuré, avec très peu de moyens, cette fameuse continuité pédagogique pour laquelle il a fallu tout réinventer.

Je tiens ici à rappeler aussi que les volontaires n’ont manqué nulle part pour accueillir à temps plein les enfants des personnels soignants, puis de la Police nationale, des douanes, de l’ASE, et enfin de l’administration pénitentiaire. De nombreux enseignants ont assuré ces missions en même temps (accueil et continuité pédagogique) en s’organisant au sein des équipes. L’immense majorité de mes collègues a fait son travail, et souvent bien plus. Dans ce moment particulier où nous sommes si isolés les uns des autres et où parfois (mais pas partout) notre hiérarchie nous abandonne, j’adresse mon soutien à tous mes collègues, de la maternelle à l’enseignement supérieur. Même si je viens d’un autre monde, celui de l’entreprise, où j’ai travaillé longtemps, je suis fière d’être fonctionnaire de l’enseignement public.
Et si nos conditions de travail vous font rêver et que vous voulez nous rejoindre, sachez que 1500 postes n’ont pas été pourvus l’an dernier.
Nous ne demandons pas à être traités en héros, nous ne sommes pas non plus des traîtres. Nous demandons simplement à être écouté.e.s, en tant qu’acteurs et actrices de terrain, sans être suspectés d’être des lâches ou des fainéants. Réfléchissons bien aux divers enjeux de cette réouverture des écoles, notamment maternelles, dans ces conditions.
Pour vos enfants, pour vos collègues, pour vos proches.
Ne nous trompons pas de combat.

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